Le Mardi Saint, l’Église nous rappelle la parabole des dix vierges, appelant à rester éveillé spirituellement.
Homélie de St Jean Chrysostome sur les Vierges folles
… Dans ces paraboles que nous avons expliquées, Jésus-Christ parle généralement de toutes sortes de secours que nous pouvons et que nous devons donner à nos frères, au lieu que dans celle de ces vierges il marque particulièrement le soin que nous devons avoir de les assister de nos biens. C’est pourquoi cette parabole des vierges a quelque chose de bien plus étonnant que les autres. Car Il ne parle dans les autres que de la punition encourue par celui qui frappait et qui outrageait les serviteurs de son maître, et qui dissipait son bien par son intempérance et ses excès; mais dans celle de ces vierges Il déclare qu’Il punit même celui qui manque, de charité pour ses frères, et qui n’est point généreux envers les pauvres. Car ces vierges avaient toutes de l’huile, mais toutes n’en avaient pas avec cette abondance que Dieu demandait d’elles, et c’est ce qui en fait tomber cinq dans une condamnation si effroyable.
Mais pourquoi, mes frères, Jésus-Christ ne nomme-t-Il pas ici d’autres personnes moins considérables? Pourquoi choisit-il particulièrement des vierges? Il avait déjà assez relevé cette vertu lorsqu’Il avait dit : « Qu’il y avait des eunuques qui s’étaient rendus tels à cause du royaume des cieux», ajoutant aussitôt : « Que celui qui peut le comprendre le comprenne». (Matth. XIX, 12.) Il n’ignorait pas que les hommes estimaient beaucoup cette vertu, parce qu’elle a de l’éclat par elle-même. Sa grandeur paraît assez en ce que les saints de l’Ancien Testament, qui d’ailleurs étaient si admirables, ne gardaient pas néanmoins cette vertu, et que Jésus-Christ même dans la loi nouvelle ne l’impose point comme nous venons de dire, comme une loi nécessaire et indispensable. Car le Fils de Dieu ne la prescrit point à ses disciples; Il se contente seulement de les y porter et de la leur conseiller. C’est pourquoi saint Paul dit: « Pour ce qui regarde les vierges, je n’ai point de précepte exprès du Seigneur ». (I Cor. VII, 25.) Je puis bien louer celui qui veut embrasser cet état, mais je n’y puis contraindre personne ni en faire un commandement exprès.
Comme donc cette vertu était en effet très-éclatante, et qu’elle devait être en grande estime dans l’esprit des hommes, Jésus-Christ empêche ici qu’on ne croie qu’elle pouvait suffire elle seule, et qu’en la possédant on pouvait ensuite se relâcher dans là pratique des autres vertus. C’est pour ce sujet qu’Il rapporte cette parabole étonnante, afin d’apprendre aux vierges que, quand d’ailleurs elles accompagneraient leur virginité de tout ce qu’il y a de plus louable, si elles manquent à témoigner leur charité par les aumônes, elles seront rejetées de Jésus-Christ et reléguées avec les impudiques.
Et certes c’est avec grande raison que Dieu exercera un jugement si sévère contre ces vierges. Car les impudiques sont emportés par l’amour charnel, au lieu que les autres le sont par leur passion pour les richesses. Or, il est visible que la première de ces passions est beaucoup plus violente que la seconde. Plus donc l’ennemi qui attaquait ces vierges était faible, plus elles étaient coupables en y succombant. C’est pour cette raison que Jésus-Christ les appelle « folles », parce qu’ayant vaincu un ennemi beaucoup plus fort, elles se laissent vaincre par un plus faible. « Les lampes » marquent le don même de la virginité qui se conserve par la pureté du corps, et « l’huile »signifie la miséricorde, la charité et le soin qu’on a d’assister les pauvres.
« Comme l’Époux était longtemps à venir, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent ». Jésus-Christ donne ici à entendre que l’intervalle entre son premier et son second avènement ne serait pas si court que ses disciples le croyaient, et Il réfute par ces paroles la pensée que ses apôtres avaient que le règne de Jésus-Christ viendrait bientôt. On voit que souvent il les détrompe de cette attente. Il marque aussi en même temps que la mort n’est qu’un sommeil : «Elles s’assoupirent », dit-il, « et s’endormirent toutes ».
« Mais sur le minuit on entendit un grand cri ». Jésus-Christ rapporte cette circonstance ou pour continuer la parabole, ou pour montrer que la résurrection générale se ferait durant la nuit. Saint Paul marque aussi ce cri, lorsqu’il dit: «Aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l’archange et le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel ». (I Thess. IV, 16.) Mais que diront ces trompettes et ce grand bruit dont l’Évangile parle? « Voici l’Époux qui vient, allez au devant de lui. Toutes ces vierges se levèrent aussitôt et préparèrent leurs lampes. Mais les folles dirent aux sages: Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». Il leur donne encore une fois le mot de « folles», pour montrer qu’il n’y a rien de plus insensé que d’amasser beaucoup d’argent en cette vie dont nous devons bientôt sortir sans rien emporter avec nous, au lieu que nous n’y devrions travailler qu’à faire l’aumône et à exercer la charité. Mais ces vierges témoignent encore leur folie en ce qu’elles espèrent de trouver alors ce qui leur manque, et qu’elles demandent à contre-temps ce qu’elles ne peuvent obtenir. Leurs propres sœurs les, rebutent. Quoique ces vierges sages fussent très-charitables, quoique ce fût principalement par leur charité qu’elles s’étaient rendues agréables aux yeux de Dieu, et quoiqu’enfin ces vierges insensées ne leur demandassent qu’une partie de leur huile, et non pas tout, et qu’elles leur représentassent leur nécessité d’une manière si touchante, « nos lampes s’éteignent, donnez-nous de votre huile », ces vierges sages néanmoins demeurent sourdes à leurs prières, et elles ne les écoutent point. Ni leur propre inclination à faire l’aumône, ni la facilité de donner ce que leurs sœurs moins sages qu’elles leur demandaient, ni l’extrême besoin où elles les voyaient réduites, rien ne les put porter à leur accorder leur demande.
Que nous apprend, mes frères, un exemple si terrible, sinon que si nous nous perdons une fois nous-mêmes par nos mauvaises œuvres, nul de nos frères ne pourra nous secourir, non parce qu’il ne le voudra pas, mais parce qu’il ne le pourra. « Les sages leur répondirent: De peur que ce que nous avons ne « suffise pas pour nous et pour vous, etc.». Ainsi ces vierges sages s’excusent sur leur impossibilité. C’est ce qu’Abraham marque dans l’Évangile de saint Luc : « Il y a », dit-il, « un « grand abîme entre nous et vous, de sorte que ceux qui voudraient passer de nous à vous ne le peuvent faire. (Luc, XVI, 26.) Allez « plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-vous-en ce qu’il vous en faut ». Qui, sont, mes frères, ceux qui vendent cette huile, sinon les pauvres? Et où trouve-t-on ces pauvres ailleurs que dans cette vie? C’est donc en ce monde qu’on doit aller, chercher ces vendeurs et non plus en l’autre. Nous trafiquons heureusement avec eux pendant que dure cette vie, et si l’on nous en ôtait les pauvres, on nous ôterait en même temps un des plus grands moyens de notre salut et une des plus fermes espérances de gagner le ciel. C’est donc ici qu’il nous faut préparer cette huile, afin que nous la trouvions prête dans nos vases, lorsque nous en aurons besoin. il n’est plus temps d’y penser après notre mort. Il le faut faire dans cette vie. Ne consumez donc plus, mes frères, si inutilement vos biens dans les délices, dans le luxe ou dans le vain amour de la gloire, puisqu’ils vous sont si nécessaires pour en acheter de l’huile.
Ces vierges insensées ayant écouté les sages, suivirent le conseil qu’elles leur avaient donné, mais ce fut inutilement. Et l’Évangile rapporte cette circonstance, ou pour suivre simplement l’ordre de l’histoire, ou pour nous apprendre que, quand nous deviendrions charitables et compatissants après notre mort, cette charité ne nous servirait, plus de rien pour éviter les maux que notre dureté passée nous a mérité. Car nous voyons que ce désir de faire l’aumône ne sert plus de rien à ces vierges folles, parce qu’elles cherchaient ceux qui vendent l’huile, non en ce monde où on les trouve, mais dans l’autre où on ne les trouve plus.