Jeudi Saint : la Cène mystique du Seigneur

Le rite du Jeudi Saint se compose, dans la tradition byzantine, de trois grands offices : les matines, le rite du lavement des pieds – réservé au rituel pontifical – et les vêpres avec la liturgie de Saint-Basile.

Trois événements sont au centre de la liturgie de ce jour : la trahison de Judas, la manifestation de l’humilité du Seigneur et la Cène avec les disciples, appelée dans la tradition orthodoxe « repas mystique ».

Aucune autre fête, pas même celle de la Nativité, n’est dotée de prières aussi riches sur le plan christologique que le Jeudi Saint. C’est au soir de la Pâque juive, au cours du repas rituel commémorant la sortie d’Égypte du peuple hébreu, que le Roi d’Israël se fait connaître à ses disciples et découvre la nature véritable de son alliance avec l’humanité. Ainsi, le dernier dîner du Seigneur avec les apôtres est non seulement mystique, mais aussi mystagogique.

« Lors de ce dîner, tu as révélé aux initiés l’immense mystère de ton incarnation » : l’incarnation de Dieu est l’alliance éternelle que Dieu promettait à Abraham et qu’il a enfin accomplie à la fin des temps.

La Pâque, immolée désormais « à l’intérieur de nous », reçoit son sens plénier, tout comme ses attributs rituels (le pain, l’agneau, le sang sur les portes) : c’est « le Christ consommé sous forme de pain et pour nous offert en sacrifice comme un agneau ». Le sang salutaire qui autrefois a sauvé les Hébreux de l’ange exterminateur est celui de « la Sagesse de Dieu, infinie, source de toute chose et origine de la vie, qui s’est fait une demeure à partir de la Mère immaculée et qui s’est doté d’un temple corporel ».

Les textes liturgiques du Jeudi Saint reflètent le long cheminement de l’Église vers la connaissance du Christ, à travers des siècles de controverses : « Je suis l’homme par nature, non en apparence. Ainsi, en vertu de cette communication, la nature qui m’est unie devient Dieu elle aussi. Sachez donc que suis le Christ, un dans deux natures et à partir d’elles ». La tradition place ici dans la bouche du Seigneur le résumé de l’enseignement des conciles œcuméniques sur le mystère de l’incarnation. La dualité est le leitmotiv de la liturgie du Jeudi Saint, de même que la dualité des natures du Verbe incarné est le cœur de la christologie orthodoxe. Il y a deux Pâques : celle de la loi et celle de la grâce ; deux mets de la Cène : le Corps et le Sang ; deux disciples : celui qui aime (Jean) et celui qui vend son Maître (Judas) ; deux Adam : celui qui trahit son Prototype (Judas) et celui qui restaure l’image de Dieu (Jésus).

Les textes liturgiques ne cessent d’opposer à l’appauvrissement et à l’humilité du Créateur la cupidité et l’orgueil de Judas.
Dans la trahison de l’Iscariote, les auteurs des hymnes discernent avec horreur l’aboutissement de la chute de l’homme et l’actualisation de l’apostasie d’Adam. Les réponses hypocrites de Judas et ses regrets tardifs sont comme une odieuse imitation de la conduite du premier homme au jardin d’Éden. L’un a préféré à la communion avec Dieu le fruit néfaste de la connaissance du bien et du mal. L’autre a choisi l’argent à la place du Corps vivifiant de l’Agneau. «Ses mains qui ont reçu le Pain, le traître les tend furtivement pour recevoir le prix de Celui qui a façonné l’homme de ses propres mains ». Et plus loin : « Judas l’Iscariote oublie les lois de l’amitié : ses pieds que tu as lavés le portent à la trahison ; ayant mangé ton Pain et reçu ton divin Corps, ô Christ, il te tend un piège ». En effet, il n’a pas su ou n’a pas voulu voir que « le Seigneur qui jadis, lorsqu’il se promenait à la brise du soir, troubla le Paradis par le bruit de son pas, c’est lui qui, aujourd’hui, lave les pieds de ses disciples, au soir du Grand Jeudi ».

Avec la mort de Judas, c’est Adam-ennemi de Dieu qui disparaît. Avec la Passion du Christ, c’est la sentence du Créateur à l’égard du premier homme qui prend fin. La parenthèse ouverte par la désobéissance d’Adam est fermée par le Fils de l’homme qui a été « obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 8)

Source : Parlons d’Orthodoxie
Hiéromoine Alexandre ( Siniakov)

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