Une identité locale : Interview avec Pierre Ronget

Fidèle à l’Église primitive, l’Église orthodoxe en a gardé l’essentiel. Par conséquent, si l’on veut vivre pleinement cet enseignement, il importe que la vie liturgique se passe dans la langue du pays, tout comme cela fut le cas après le baptême de la Russie, à Kiev : les offices étaient célébrés dans une langue que tous les gens pouvaient comprendre. Cela me paraissait et me paraît encore  fondamental et c’est dans cette optique que nous avons travaillé pour participer à l’implantation, ou plutôt à la réimplantation de l’orthodoxie en Occident.

À un évêque qui me disait : « Apprends le russe et tu seras orthodoxe », j’avais répondu que mes enfants futurs entendraient les offices liturgiques dans la langue du pays.  À l’âge de quatre ans, ma fille, écoutant les propos d’un jésuite qui parlait de la Trinité, avait précisé : « Elle est consubstantielle et indivisible. » Elle ne le comprenait pas encore, mais elle entendait cela chaque dimanche à l’église, cette formule était imprégnée en elle. Sans doute n’aurait-t-elle pas intégré cet élément essentiel de la foi, si elle l’avait entendu en slavon ou en grec. Une chose m’a toujours paru essentielle : pour pouvoir vivre pleinement les offices liturgique notamment les vêpres, qui sont une préparation importante à la Liturgie eucharistique, il est beaucoup plus aisé, même indispensable, de s’y préparer en intégrant le texte dans sa propre langue parlée,  plutôt qu’en assistant à l’office dans une langue liturgique traditionnelle, mais inconnue, en le suivant avec une traduction, aussi bonne soit-elle.

Pierre et Penka Ronget avec père Alexandre

Pourquoi suis-je devenu chef de chœur ? Au tout début, lorsque les offices ont été célébrés régulièrement à l’église grecque dans la petite église de la villa, il fallait un maître de chapelle, et j’étais le seul à pouvoir assumer cette fonction. Ce n’était pas facile : nous avions très peu de partitions, les textes liturgiques existaient bien,  mais il fallait les trouver, les recopier, les multicopier. Cela exigeait un important travail. Je me souviens que lors de la première célébration de la Semaine Sainte dans la crypte, j’étais au service militaire et j’écrivais la partition du Canon de Pâques, j’avais obtenu un congé et j’arrivais le jeudi soir pour l’office des 12 Évangiles, on répétait, le samedi après-midi les matines pascales que l’on chantait le soir. Chaque fois, il fallait chercher un prêtre célébrant, jusqu’au jour où nous avons rencontré providentiellement le père Jean. C’était chaque fois une sorte de petit miracle que l’office puisse avoir lieu. 

Ainsi nous avons pu vivre notre vie liturgique, semaine après semaine, année après année. Nous  trouvions appui auprès de références qui étaint essentielles pour nous, tel le père Boris Bobrinskoy. De plus nous participions régulièrement aux congrès de la Jeunesse orthodoxe du Midi de la France, auprès du père Cyrille Argenti. C’étaient des moments riches et qui nous permettaient de faire le plein d’énergie et d’enthousiasme. Nous voulions vivre cela chez nous.  Notre vie paroissiale était aussi nourrie par les célébrations annuelles de la fête patronale de Sainte-Catherine auxquelles ont participé des personnes extraordinaires tels que le père Boris Bobrinskoy, l’évêque Kallistos (Timothy Ware), Olivier Clément, le père Cyrille Argenti.  Ainsi, cette paroisse créait des liens forts avec tous ceux qui développaient une réflexion sur l’orthodoxie en Occident.

La crypte de Chambésy n’est pas la première église orthodoxe abritant une paroisse de langue française. La crypte de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, à Paris, la paroisse du père Cyrille à Marseille, existaient déjà, ainsi que la paroisse du patriarcat de Moscou, Sainte-Geneviève, rue Saint-Victor à Paris également.

Cette communauté orthodoxe francophone, existait déjà avant la création du Centre orthodoxe du Patriarcat œcuménique de Chambésy. Dans la chapelle de la villa, notre vie liturgique se limitait aux liturgies eucharistiques que nous devions célébrer et chanter avant la liturgie en grec. Nos liturgies en français étaient célébrées sur une petite table placée devant l’autel, avec un antimension que l’on pouvait déplacer. C’était une opportunité extraordinaire, mais il fallait toujours se hâter, car à 10h30, commençaient les matines avant la liturgie de la communauté grecque.

Pierre Ronget (à droite) avec Tikhon Troyanov

En 1974, le père Georges Tsetsis nous a suggéré d’écrire une lettre au patriarche Dimitrios 1er pour lui demander de définir notre statut. Nous étions alors un petit groupe de francophones liés à la paroisse  grecque. Tikhon Troyanov et moi-même avons donc écrit cette lettre et, après quelques visites d’évêques venus contrôler nos célébrations et nos textes liturgiques, nous avons été très agréablement surpris que le Patriarcat œcuménique décide de nous octroyer le statut de paroisse orthodoxe francophone. Le père Jürgen fut notre premier prêtre titulaire. Par la suite, nous avons eu le privilège de rencontrer le père Jean qui est devenu le recteur de notre paroisse pendant 40 ans.

Au moment de célébrer le demi-siècle de la paroisse de la Sainte-Trinité et Sainte-Catherine, il importe de souligner que cette paroisse, n’a jamais été liée à une ethnie, elle n’est unie que par sa langue liturgique, la langue française. Il nous importait de témoigner dans la langue du pays où l’on vit et cela a pu se faire.  C’est une paroisse ouverte aux autres et qui accueille les autres. La progression est constante. Le nombre de paroissiens augmente d’environ 5  % par année.  Cela correspond et répond donc à un besoin, nous avons le devoir de contribuer à la visibilité de L’Église orthodoxe à Genève.

En vivant pleinement le présent nous devons anticiper l’avenir. Que sera notre paroisse dans 30 ans ? Il convient de vivre maintenant dans une perspective dynamique et d’envisager la construction d’une nouvelle église à Genève, pour la paroisse orthodoxe francophone du  diocèse de Suisse du Patriarcat œcuménique.

Quelques souvenirs de Pierre Ronget, paroissien de la première heure, chef du chœur depuis bientôt cinquante ans, président du Conseil de paroisse.
Propos recueillis par un paroissien.

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