Souvenirs en vrac : Témoignage d’un paroissien

Au début des années 1960 il n’existait à Genève que deux églises orthodoxes. La plus grande, la plus connue, dédiée à l’Exaltation de la Sainte Croix, officiellement destinée « à tous ceux qui pratiquent le culte grec » (Acte du Grand Conseil de la République et Canton de Genève),  dont les paroissiens appartenaient pour la plupart à l’émigration russe. Et une chapelle relevant du Patriarcat de Moscou.

Pour des raisons surtout politiques et historiques, le clergé et les fidèles de ces deux paroisses ne se fréquentaient pas, en principe. En pratique, c’était un peu différent. La communauté grecque, quant à elle, ne disposait pas encore de son propre lieu de culte et les offices étaient célébrés dans l’église américaine.

Quelques étudiants orthodoxes, toutes juridictions confondues, se rencontraient régulièrement. Des théologiens, évêques, prêtres ou laïcs venaient les entretenir sur des thèmes qui leur tenaient à cœur, et les conférences se poursuivaient à l’aube du lendemain par une Divine Liturgie célébrée en français. Ce qui n’était pas vraiment dans les mœurs de l’époque. Il semblait clair et évident que pour être orthodoxe, que l’on soit de souche grecque ou russe, (ou ni de l’une ni de l’autre), la connaissance du grec ou du russe était une condition incontournable.

Il existait certes des communautés, à Paris et à Londres, en Allemagne également, qui avaient adopté la langue locale comme langue liturgique. Ce n’était pas toujours très bien vu. À Marseille, le père Cyrille (Argenti) de bienheureuse mémoire, soucieux d’offrir aux scouts grecs et à tous les jeunes orthodoxes de sa paroisse, dont  une grande partie ne parlaient que le français, une pastorale et une vie une liturgique qui leur soit accessible, avait ouvert une petite chapelle orthodoxe francophone, non loin de l’église grecque, la plus ancienne église orthodoxe de France.

Le monastère protestant de Taizé, en Bourgogne, soucieux d’œcuménisme, avait édifié en 1965 une chapelle orthodoxe en son sein, et un skite abritant deux moines, dont le père Damaskinos, futur métropolite de Suisse. Pour la consécration de cette chapelle,  Mgr Meletios, métropolite du Patriarcat œcuménique et Mgr Antoine, exarque du Patriarcat de Moscou, concélébrèrent la Divine Liturgie dans la grande église de Taizé. Un petit groupe d’étudiants genevois emmenés par Mgr Antoine, s’apprêtaient à chanter, en français, à cette liturgie. Mais un groupe de scouts grecs de Marseille, conduits par le père Cyrille, avait le même projet. Balayant cette concurrence et les réunissant tous en un seul chœur, le père Cyrille suscita une amitié durable et devint rapidement l’un des conférenciers les plus réguliers des étudiants genevois et de la future paroisse orthodoxe francophone de Chambésy.

Il importe de souligner l’importance décisive des congrès du père Cyrille dans la création, par plusieurs diocèses orthodoxes, de paroisse francophones. Ces congrès régionaux, animés par des conférenciers invités, réunissaient, dans les environs de Marseille, des fidèles intéressés par la spiritualité, la vie liturgique, la théologie et l’histoire et de l’Église. Leur exemple fut suivi par des paroisses et par des groupes d’orthodoxes de tous les coins de la France, jusqu’à un événement historique inoubliable : le premier Congrès de la Fraternité orthodoxe, rassemblant à Annecy-le-Vieux, en 1971, des orthodoxes de tous âges, de toutes origines et de toutes juridictions. Il fut suivi, presque régulièrement, tous les trois ans, par des Congrès de toute la France et des pays voisins, témoignant ainsi de l’unité de l’Église orthodoxe dans sa diaspora.

Le Centre orthodoxe à Chambésy

C’est dans cet esprit que l’évidence s’imposa à Genève, à l’église russe et très bientôt au nouveau Centre orthodoxe du Patriarcat œcuménique, d’une vie liturgique célébrée dans la langue locale, faisant du français une nouvelle langue liturgique après le grec, l’arabe, le slavon, le roumain.

Et comme à la Pentecôte, « chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient […]. Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu » (Actes des Apôtres 2: 8-11).

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